Experts judiciaires : la rigueur n’est pas une option

Un arrêt récent de la Cour de cassation (1ʳᵉ civ., 19 mars 2025, n° 23-17.696) vient rappeler avec force qu’un expert judiciaire n’est pas au-dessus des règles de responsabilité civile.

L’expert judiciaire n’est pas intouchable

Désigné par le juge, l’expert est investi d’une mission essentielle : éclairer la juridiction par des analyses techniques. Mais cette mission doit être menée avec sérieux et précision. En cas de manquement, sa responsabilité personnelle peut être engagée, conformément au droit commun de l’article 1240 du Code civil.

Autrement dit, l’expert ne bénéficie d’aucune immunité du seul fait qu’il agit sur désignation judiciaire. Ses conclusions imprécises ou lacunaires peuvent avoir de lourdes conséquences pour les parties, et donc engager sa responsabilité.

Le cas jugé : une expertise défaillante entraînant une perte de chance

Dans l’affaire jugée, une propriétaire avait sollicité une expertise sur des désordres affectant sa maison. Or, le rapport d’expertise s’est révélé incomplet et peu rigoureux : absence d’investigations techniques approfondies, conclusions vagues, hypothèses non vérifiées.

Conséquence directe : son action en garantie décennale contre les constructeurs a été rejetée, faute de preuves suffisantes. La Cour a considéré que cette insuffisance constituait une faute de l’expert, ayant privé la demanderesse d’une chance sérieuse d’obtenir gain de cause, évaluée à 40 %.

Une jurisprudence constante mais rappelée avec force

Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation affirme ce principe. Déjà en 1986, elle avait posé que l’expert judiciaire pouvait être tenu pour responsable de ses erreurs, même si le juge avait suivi son avis (Civ. 2ᵉ, 8 oct. 1986, n° 85-14.201).

L’arrêt du 19 mars 2025 s’inscrit dans cette continuité et réaffirme que les experts restent pleinement justiciables du droit commun de la responsabilité civile.

Un avertissement clair aux experts

Au-delà du cas d’espèce, ce rappel a une portée générale : un expert doit mener ses investigations avec rigueur méthodologique et formuler des conclusions claires, précises et justifiées. L’article 237 du Code de procédure civile l’y oblige en prescrivant d’agir « avec conscience, objectivité et impartialité ».

À défaut, il s’expose à voir sa responsabilité engagée, avec des conséquences financières potentiellement lourdes.

Conclusion

Cet arrêt envoie un signal fort : l’expertise judiciaire ne peut se réduire à un rapport approximatif. Elle doit être un travail minutieux et fiable. Faute de quoi, l’expert peut être sanctionné comme tout autre professionnel.